Figure historique d’une modernité picturale

Adieu Si Mohamed Melihi

«Ses tableaux ne sont pas faits pour décorer un salon, on arrive à les lire comme un poème»

Moulim Laaroussi

L’image et le souvenir que  je garde de lui? D’abord l’image d’un artiste authentique dans le geste et le mode de vie; et puis le souvenir primordial d’un homme généreux, ouvert, curieux de tout et disponible. Une disponibilité intellectuelle qui est une forme d’hospitalité. Ssi Mohamed Melihi vient de nous quitter, son grand cœur a cessé de battre vaincu par un virus qui est en train de transformer le monde. Mais son œuvre demeure et c’est elle qui triomphe.

J’ai eu la chance et le plaisir humain et intellectuel de faire sa connaissance, grâce au cinéma. Nous avons travaillé ensemble lors d’une édition du festival du cinéma de Tétouan ; il présidait le jury du long métrage et moi celui du court. Nous avions établi une relation d’échange originale rompant avec le protocole rigide qui caractérise certains festivals trop formels ou enfermant les films dans des catégorisations artificielles. Ssi Melehi faisait preuve d’une grande modestie et d’un sens de l’écoute amicale au service de ce qu’il croyait juste ou pensait pertinent. Une amitié forgée dans l’estime et le respect était née. Il n’hésitait pas à m’appeler pour une information sur tel événement cinématographique ou tel autre et m’envoyait quand cela était possible de la documentation sur son travail.  TRAVAIL : voilà le mot clé qui explique une réussite artistique d’envergure internationale.

Avec mon ami, le critique de cinéma Saïd El Mazouari on avait fait, en mars 2019, le déplacement à Rabat pour une plongée tonique dans ce travail lors d’une rétrospective qui avait été organisée en hommage à un artiste considéré à juste titre comme le pionnier de la modernité picturale au Maroc. Dans l’histoire de la peinture au Maroc, Melihi appartient à la génération fondatrice et inaugurale. Fondatrice d’une école marocaine qui a ses repères, ses références et ses titres emblématiques. Inaugurale d’une nouvelle ère dans la pratique picturale qui se situe dans le sillage de la modernité. Avant de revenir au Maroc dans le milieu des années 1960, Melihi avait eu l’occasion de se confronter aux courants novateurs de la peinture mondiale dans ses principales capitales Madrid, Rome, Paris et New York. Une modernité, une avant-garde qui va trouver son ancrage dans une symbolique spécifique, une identité propre ouverte et dynamique. Le critique d’art Toni Mariani note dans ce sens : «…reconnaître dans le signe, le symbole, la couleur et le traitement de l’espace d’une grande marginalité, un champ de référence le ramenant tout droit vers la matière picturale».

Une modernité chez Melihi qui n’est pas née ex nihilo ; elle ne fut pas un choix purement esthétique. La modernité de Melihi s’inscrivait dans une démarche de rupture et de réappropriation. Une rupture avec  la peinture figurative ; un courant folklorique, exotique colonial et postcolonial. Et réappropriation d’un héritage humaniste issu d’une culture forgée au contact de ses principaux représentants. Il précise lui-même l’origine de cet état d’esprit: «J’ai été appelé à choisir ce qui me parlait le plus, je me suis intéressé à la culture moderne hispanique dans son état progressiste alors qu’ailleurs en Europe, on enseignait toujours le classicisme. Très ouverts, mes parents m’ont permis de suivre un parcours tracé dès l’adolescence d’abord à l’Institut National des Beaux-Arts de Tétouan, puis Séville, Madrid et l’Italie».

Avec ses amis du groupe dit de l’école de Casablanca, il marque un tournant dans la pratique picturale marocaine. Sous le poids de figure historique comme Gharbaoui et Cherkaoui, il creusa son sillon autour d’un triptyque : créativité, authenticité, engagement. Il contribua à promouvoir une pratique artistique transversale refusant les frontières entre les différentes productions symboliques. Une pratique au croisement de la peinture, de la poésie, de la photographie et du cinéma.  Au terme d’une expérimentation jamais livrée pour elle-même, allant de la sobriété des débuts à la figuration géométrique, Melihi a acquis une maturité artistique qui éblouit à travers des signes qui font sa spécificité (il n’a pas besoin de signer son tableau !) et qu’il sut préserver et développer sans verser dans le schématisme ou la répétitivité. On est toujours surpris et séduit par l’usage des couleurs franches, le motif de l’onde qui ouvre sur la multiplicité de lectures, invitant notre intelligence à un mouvement vers le beau, le sensuel et le sublime.

Mohamed BAKRIM

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