La Khalwatiyya, l’isolement pour l’initiation des disciples

Les confréries entre ordre religieux et mysticisme

Contrairement a la majorité des confréries soufies, le nom de la Khalwatiyya n’est pas lie à un ancêtre éponyme mais a une pratique spirituelle, la khalwa, retraite de 40 jours dans une cellule ou un lieu solitaire, accompagnée de jeune et de concentration de l’esprit sur Dieu (dhikr). La khalwa n’est pratiquée aujourd’hui que par quelques rares soufis.

La khalwa, pour certaines branches de la Khalwatiyya, est essentielle pour la préparation de l’élève mouride. Le dhikr collectif suit des règles similaires dans les différentes branches de la Khalwatiyya.

Il faut dire que l’absence de fondateur éponyme contribue au flou qui entoure les origines, déjà obscures, de la Khalwatiyya. La fondation de cette voie, dérivée de l’enseignement du Persan Ibrahim al-Zahid, est attribuée à ‘Umar al-Khalwati, appelé ainsi à cause de ses fréquentes retraites.

Selon H. J. Kissling, Yahya al-Shirwani alBikubi, second maitre de la voie, serait le véritable fondateur de la confrérie. Il est l’auteur de litanies (awrad) longtemps utilisées par les khalwatî, « le wird al-Sattâr », et encore récitées par certaines branches de la Khalwatiyya en Egypte, comme la shubrâwiyya . Quant aux membres de la confrérie en Egypte, ils considèrent Muhammed  b. Nûr al-Khalwatî, , le maitre de d’Umar, comme le fondateur de la voie.

Avant de gagner l’Egypte, la Khalwatiyya se répand tout au long du XVe siècle de l’Azerbaidjan et du Caucase a l’Anatolie. Cette dernière

région forme le point de départ d’importantes ramifications de la confrérie vers deux directions principales : le Sud-Est européen et l’Egypte (et de là vers le Proche-Orient, I ‘Afrique et l’Indonésie). Les travaux de N. Clayer sur l’expansion et le rôle de la Khalwatîyya dans les territoires ottomans du Sud-Est européen, la Roumélie, montrent qu’à son arrivée au Caire, à la fin du XVe siècle, la confrérie était déjà bien implantée dans l’Empire. Ses cheikhs entretiennent des relations étroites avec les sultans ottomans ; ils servent les intérêts de ces derniers en se faisant les champions de l’orthodoxie sunnite, dans les nouvelles régions conquises, et de la lutte contre les sectes hérétiques et le shi’isme, aux frontières de l’Empire.

En Egypte, terrain d’élection pour les confréries des le XIIIe siècle, les principales voies sont constituées à l’époque de la conquête ottomane. Elles se réclament des grands noms de la mystique musulmane : la Shâdhiliyya d’Ab’l-Hasan al-Shâdhîli , la Ahmadiyya d’Ahmad al-Badawi, la Burhâmiyya d’Ibrâhim  al-Disûiqî . Dans la tradition égyptienne, ces deux derniers sont considères, avec ‘Abd alQadir al-Jîlâni  et Ahmad al-Rifa’i, respectivement fondateurs éponymes de la Qâdiriyya et de la Rifâ’iyya, comme les quatre pôles qui gouvernent le monde. La Khalwatiyya fait figure de nouvelle venue dans le champ confrérique  égyptien à la fin du XVe siècle et elle est essentiellement liée aux milieux turco-ottomans. Ces liens s’expliquent par l’origine des fondateurs de cette voie, trois disciples de ‘Umar Rûshânî, lui-même initié par Yahyâ al-Shirwanî.

Liens étroits avec le pouvoir

La Khalwatiyya connut sa plus grande popularité au cours du règne de trente ans du sultan ottoman Bajazet II (1481-1511). Celui-ci pratiquait des rituels soufis, ce qui a amené beaucoup d’ambitieux carriéristes politiques à rejoindre la tariqa. C’est la période où les membres de la classe supérieure militaire ottomane, et les hauts fonctionnaires ont tous été liés à la Khalwatiyya.

Le cheikh soufi Chelebi Khalifa (mort en 1520), transféra le siège de la Khalwatiyya de Amasya à Istanbul. Il y transforme une ancienne église en tekke connu comme la mosquée Koca Mustafa Pacha. L’ordre s’est répandu depuis ses origines dans le Moyen-Orient dans les Balkans (surtout dans le sud de la Grèce, au Kosovo et en Macédoine, en l’Égypte, au Soudan et dans presque tout l’Empire Ottoman.

Après la mort de Chelebi Khalifa, la direction de la tariqa est transmise à son gendre, Sünbül Efendi (mort en 1529), qui est considéré comme un grand spirituel. Il est aussi connu pour avoir sauvé la mosquée Koca Mustafa Pacha d’une destruction partielle, le sultan Sélim Ier voulant réutiliser ses matériaux pour les travaux du palais Topkapi.

Cependant, les oulémas manifestèrent leur hostilité envers de nombreux ordres soufis, et pas seulement la Khalwatiyayya. Leur critique était d’une part de nature politique (ils laissaient entendre que les Khalwati manquaient de fidélité envers l’État ottoman), et d’autre part de nature doctrinale, reprochant aux soufis d’être trop proches de l’islam populaire et trop éloignés de la charia.

La tariqa se transforme au cours des XVIe et XVII e siècles, s’intégrant de plus en plus à la vie sociale et religieuse ottomane. Un exemple en est la fondation d’une branche par Sha`ban-i Veli (mort en 1569) à Kastamonu. Alors que Sha`ban était un ascète qui a fait profil bas et s’est tenu à l’écart de la vie politique au XVIe siècle et au XVII esiècle, son disciple spirituel `Omer el-Fu’adi (mort en 1636) a écrit plusieurs livres et traités qui ont cherché à cimenter les doctrines et les pratiques de l’ordre. En outre, il a combattu un sentiment anti-soufi croissant qui devait se manifester durant XVII e siècle sous la forme du mouvement Kadizadeli (en). C’est également pendant cette période que l’ordre a cherché à réaffirmer son identité sunnite, en se dissociant des chiites de l’ennemi. Sous les règnes de Soliman le Magnifique et de Sélim II, l’ordre connut un renouveau. Il avait en effet des liens avec de nombreux hauts fonctionnaires dans l’administration ottomane et reçut des dons en argent et des biens, ce qui permit de recruter plus de membres.

Durant cette période, les membres de la Khalwatiyya perdent le lien qu’ils avaient tissé avec le peuple, alors qu’ils en avaient très proches. Ils tentent alors de purifier leur ordre des éléments de l’Islam populaire, et de se rapprocher de l’orthodoxie. Par la suite, la tariqa s’est subdivisée en plusieurs sous-ordres. Dans les années 1650 apparaît l’un des plus célèbres cheikh Halwati d’Anatolie, Niyazi al-Misr, qui fut célèbre pour sa poésie, son rayonnement spirituel et son opposition publique au gouvernement.

Étiquettes
Top