Le rapport du CNDH sur l’effectivité du droit à la santé, plus de moyens et une bonne gouvernance.

A l’heure où notre pays est engagé dans la mise en œuvre de la généralisation de la protection sociale à l’horizon 2025, la publication par le CNDH d’un rapport sur « l’effectivité du droit à la santé »vient à point nommé.Ce rapport de plus de 70 pages (édition arabe) avec une synthèse en français de 18 pages constitue indéniablement une source inestimable pour toute personne intéressée par l’avenir de notre système de santé et pour les décideurs afin d’élaborer des politiques publiques appropriées en la matière.  Construit à partir des échanges sur le terrain avec les personnes concernées et sur la base d’une documentation dense émanant de différentes sources tout en privilégiant l’approche droits humains, le document peut être considéré comme un prolongement du rapport de la commission spéciale sur le NMD, dans sa partie relative au secteur de la santé.  En ce sens, tout en se recoupant avec les principales propositions du rapport de ladite commission, le rapport du CNDH a l’avantage d’être plus exhaustif tant au niveau du diagnostic qu’au niveau des propositions et recommandations.

Ainsi, le rapport a pointé du doigt les différents dysfonctionnements du secteur, dysfonctionnements qui sont du reste connus et reconnus. Ils résident dans le manque de moyens et dans une mauvaise gouvernance. D’abord, au niveau des moyens financiers, on sait que le budget consacré à la santé, nonobstant, certaines améliorations au cours des dernières années, demeure encore limité : moins de 7% du budget général plaçant le Maroc loin des normes exigées par l’OMS, à savoir 12 % du budget. Ensuite au niveau des ressources humaines et du taux d’encadrement, il y un manque criant du personnel soignant(médecins et d’infirmiers), soit à peine 2 pour 1000 habitants. Ce déficit est aggravé par une répartition inéquitable des ressources dans la mesure où les deux régions, Casablanca-Settat et Rabat-Salé-Kénitra concentrent à elles seules près la moitié des effectifs de la santé, créant ainsi des déserts médicaux déplorables. Par ailleurs, les dépenses de la santé supportées directement par les ménages représentent plus de 50% de l’ensemble. Le reste est financé par le budget général de l’Etat et les cotisations à la sécurité sociale.  Dans de telles conditions, les citoyens démunis, n’ont d’autre « alternative » que de renoncer à la consultation d’un médecin et se contenter des moyens traditionnels.  Un chiffre en dit long à ce sujet : on compte moins d’une consultation annuelle par habitant (0,6). Ce ratio dégringole à 0,3 dans la région Draa Tafilalet, soit une consultation médicale tous les 40 mois ! (Année 2017). A noter aussi, que le citoyen marocain ne consomme en moyenne que 450 DH de médicaments par an, soit un peu plus d’un dirham par jour !! Sachant bien sûr qu’il s’agit d’une moyenne qui cache beaucoup de disparités. Cette limite d’accès au médicament s’explique bien sûr par la faiblesse du pouvoir d’achat de la population, mais aussi par le niveau élevé du prix des médicaments dû au manque de transparence qui caractérise l’industrie pharmaceutique(en se référant à  un rapport du Conseil National de la Concurrence juin 2020).

Ces dysfonctionnements sont apparus au grand jour avec la crise du covid-19. Ce qui explique l’urgence de lancement du chantier de la généralisation de la protection sociale dans un délai relativement court. La généralisation de l’AMO devant en principe s’achever avant la fin de cette année. Un défi de taille.   Le rapport du CNDH, de par les recommandations multiples qu’il contient, pourrait constituer un outil précieux dans ce sens. Bien sûr, la santé ne doit pas être traitée avec une approche sectorielle et indépendamment du reste. Et c’est tout à fait judicieux que le CNDH ait opté pour une approche multisectorielle reposant  « sur la recherche des intersections et des éléments d’interdépendance entre les problèmes de santé et leurs déterminants économiques et sociaux liés, notamment aux politiques de l’éducation, de l’emploi, du logement, de l’environnement, des modes de vie, de l’alimentation, ainsi que tout ce qui se rapporte au cadre de vie de l’Homme, et qui affecte directement ou indirectement la possibilité de jouir du niveau de santé physique et psychologique le plus élevé possible d’autre part. ». C’est ce qu’on désigne par le concept « One Health ».

 Les mesures proposées en vue de garantir l’effectivité du droit à la santé pour tous sont structurées autour de 5 axes : l’axe législatif, la gouvernance, la prévention, la formation et la recherche scientifique, l’intégration du secteur privé dans le système national de santé. Ce dernier est considéré comme un « opérateur privé assurant un service public ». Cependant, cette question de la place du secteur privé aurait mérité, à notre avis, de la part d’une institution soucieuse de la protection et de la promotion des droits humains, plus de développements au lieu de se contenter de faire l’apologie des trois P (Partenariat Public Privé). Il fallait lever la confusion entre un service public (à but non lucratif) et un service fourni par le privé (nécessairement marchand).

Par ailleurs, on soulignera avec force, l’intérêt accordé par le CNDH à certaines questions sensibles comme la santé sexuelle et reproductive,l’interruption volontaire de la grossesse, le traitement du SIDA (Syndrome d’Immuno Déficience Acquise), la santé des migrants et des exilés qui vivent dans des conditions précaires. Un intérêt similaire est accordé au traitement de la situation des personnes âgées, à la santé mentale et psychologique…

On le voit, nous avons affaire à un travail de qualité bien fouillé, préparé selon une approche participative et présenté dans les règles de l’art.  Cependant, certaines qualités peuvent se transformer en défauts. Ainsi, à force de vouloir être exhaustif, en multipliant les recommandations qui dépassent la centaine, on a du mal à distinguer l’essentiel de l’accessoire. Il aurait mieux valu, de notre point de vue, mettre l’accent sur une dizaine de mesures phares qui seraient susceptibles de déclencher une dynamique dans le secteur de la santé.

Espérons, enfin, que l’actuel rapport bénéficiera de l’attention du gouvernement et de tous les intervenants dans la santé qu’ils soient producteurs, consommateurs ou régulateurs. Le CNDH a fait ce qu’il devrait faire. Au gouvernement de prendre le relais et de poursuivre la tâche.

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