que faire pour l’endiguer et l’éradiquer ?

La gangrène de la corruption 

Par Abdeslam Seddiki

La corruption  est par définition  un acte caché. Tout le monde en parle, mais personne ne peut la saisir correctement ou quantifier son impact sur l’économie et la société. Et au-delà de cette approche quantitative, il y a une approche qualitative à mener dans la mesure où ce phénomène pervertit les valeurs fondamentales de la société en dévalorisant le travail  au bénéfice de la ruse  et de la triche pour extorquer abusivement de l’argent aux citoyens et s’enrichir indument.  Tant que de telles pratiques demeuraient limitées, on pouvait « vivre avec » et les tolérer à notre corps défendant, mais dès que la  corruption se propage  à l’ensemble du corps social, elle se transforme en une véritable gangrène qu’il convient absolument d’éliminer pour ne pas basculer  vers un Etat de non droit. C’est le véritable enjeu  auquel des  Etats fortement corrompus doivent faire face.  Comment se présente la situation au Maroc ?

Le rapport annuel  pour 2020 publié par l’Instance Nationale de la Probité, de la Prévention et de la Lutte contre la Corruption (INPPLC), fait le point sur la situation  tout en traçant des lignes d’action pour les années à venir en perspective de l’entrée en vigueur de la loi 46-19 relative justement à la création de ladite instance.

 S’agissant de l’évolution de la corruption au niveau national, et compte tenu des contraintes liées à la crise sanitaire et des mesures exceptionnelles pour y faire face, ayant conduit à l’impossibilité de réaliser l’enquête nationale sur l’évolution de la corruption, l’Instance a concentré ses efforts sur l’analyse et l’étude des données disponibles, notamment celles enregistrées par l’Indice de Perception de la Corruption pour l’année 2020, qui montrent que le Maroc a enregistré une note de 40 sur 100, reculant ainsi d’un point et de 7 places ( 86ème  sur 180 pays )  par rapport à 2019.

Rappelons que l’IPC est établi sur la base de 13 critères  et la note globale varie de 0 à 100. Ainsi, plus un pays obtient une note élevée se rapprochant de 100, plus il est considéré comme un bon élève où la corruption n’existe pratiquement pas. A l’inverse, ceux qui ont une faible note, constituent des cancres de la classe et des pays hyper corrompus. Cet indice, bien qu’incomplet, est révélateur de la répartition de la corruption à travers le globe : les meilleurs scores sont obtenus par les pays scandinaves, les mauvais  le sont dans certains pays arabes et africains.  Ainsi, si le Maroc, avec une note de 40  est classé 86ème,  l’Algérie et l’Egypte obtiennent respectivement une note de 36 et 33 avec un classement de 104 et 117.  La Syrie avec une note de 14 est l’avant dernier de la classe juste après le Soudan du Sud.  Il ressort clairement du classement établi par Transparency  Internationl, auquel se réfère l’instance nationale, l’existence d’une corrélation négative quasi-parfaite entre  démocratie et  niveau de la corruption. Moins de démocratie entraine plus de corruption.  Une équation riche en enseignements. C’est là où il faut trouver des solutions et non ailleurs en cherchant des prétextes et des faux fuyants.

En ce qui concerne les poursuites judiciaires, l’INPPLC s’est appuyée sur le rapport du Ministère Public selon lequel la ligne téléphonique directe (numéro vert) dédiée à la réception des dénonciations d’actes de corruption a enregistré depuis son lancement le 14 mai 2018 jusqu’au 31 décembre 2019, environ 36.138 appels, qui ont conduit à 117 arrestations de suspects en flagrant délit, dans différentes régions du Maroc. Lesquels délits oscillent entre des montants qui n’excèdent pas les 50 dirhams, alors que certains plus importants s’élèvent jusqu’à 300.000 dirhams. Les secteurs caractérisés par un contact quotidien et plus fréquent avec le citoyen sont davantage concernés par les affaires qui ont été dénoncées.

 Pour ce qui est des saisines reçues par le Ministère Public de la part de la Cour des Comptes, le rapport du Ministère Public a indiqué que le nombre de saisines enregistrées au cours de la période entre 2017 et 2019 s’élevait à 16 dossiers, dont 4 pour lesquels une décision judiciaire définitive a été rendue, 3 dossiers sont en cours de traitement devant les tribunaux, 2 dossiers sont devant le juge d’instruction, et 7 autres dossiers sont toujours dans la phase enquête.

En gros, il ressort du rapport de  l’INPPLC que la position du Maroc n’a pas évolué favorablement tout au long de la dernière décennie : d’une part, on constate une relative stagnation en termes de notation par rapport à la majorité des sources de données (5) et, d’autre part, une dégradation de son classement pour 2 sources, à savoir l’Indice sur l’Etat de Droit, et le Projet « Varieties of Democracy Project » (V-Dem), qui regroupe des indicateurs de corruption dans le secteur public et au niveau des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Une situation peu satisfaisante qui montre que le Maroc continue à souffrir de l’ampleur du phénomène de la corruption,  souligne le rapport.

Peut-on espérer de faire mieux à l’avenir avec l’entrée en vigueur de la nouvelle loi  sur l’INPPLC ? Oui et non à la fois. Oui si on accompagne   ce nouveau cadre juridique par une volonté politique réelle qui vise à renforcer l’Etat de droit englobant tous les aspects de la vie et en respectant les nouvelles prérogatives de l’Instance pour qu’elle travaille en toute indépendance et dans une totale impartialité.  Dans le cas contraire, on ne fera que répéter les erreurs du passé en multipliant les annonces  sur la « bonne gouvernance » qui resteront de simples vœux  pieux.

En définitive, sans négliger l’importance des lois et le rôle des instances,  la lutte contre la corruption est une affaire hautement politique et éminemment sociétale. Elle commence au niveau de l’éducation et de l’école, là où s’acquièrent les  valeurs  basiques de probité, de la primauté de l’intérêt collectif et de la citoyenneté. Elle se prolonge au niveau des rapports de production et de répartition des richesses. C’est ainsi que dans les sociétés démocratiques  marquées par une répartition équitable des richesses, la corruption est un fait rarissime.    Aussi, le rôle et la place de la société civile ne doivent pas être négligés. A ce titre, il faut absolument s’ouvrir sur la société civile, et en premier lieu les organisations de défense des droits humains en les traitant en véritables partenaires et en prenant au sérieux  leurs préconisations. En tout état de cause,  prévenir vaut  mieux que guérir. Eduquer vaut  mieux que punir.  Car « Il n’y a ni mauvaises herbes, ni mauvais hommes. Il n’y a que de mauvais cultivateurs », écrivait Victor Hugo dans Les Misérables.

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