Le Plan

Par: Abdeslam Seddiki

Parler aujourd’hui de planification peut paraître aux yeux de certains, par les temps de libéralisation qui courent,   comme une action de naviguer à contre courant. Et pourtant, le plan semble de plus en plus indispensable en ces temps de turbulences et de retournements spectaculaires de situation. Bien sûr, il ne s’agit ni d’un retour à une centaine planification dite abusivement «impérative» appliquée dans les anciens pays du «socialisme réel», ni d’une planification  dite, a contrario, «indicative» appliquée notamment durant les trente glorieuses jusqu’à l’avènement du reaganisme et  du thatchérisme au Nord et des programmes d’ajustement au Sud. Si le premier type de planification a définitivement failli avec l’effondrement du pseudo socialisme bureaucratique, le second type n’est plus applicable tel qu’il a fonctionné. Il doit être ajusté à l’aune de l’ouverture des économies et de la mondialisation rampante à l’œuvre.

Une chose est cependant certaine : les pays qui ont abandonné la planification par un simple mimétisme et d’une façon précipitée, sans rien lui substituer,  en ont sérieusement pâti. Car le mal ne résidait pas dans «l’idée du plan» mais plutôt dans «le type du plan». Le Maroc a bel et bien suivi cette trajectoire : après qu’il eût opté, au lendemain de l’indépendance, pour la planification en élaborant 5 plans successifs (1960-1964; 1965-1967; 1968-1972; 1973-1977; 1978-1980), il a traversé une période de «vide» sous la contrainte de l’ajustement structurel et de la libéralisation forcée de son économie jusqu’à l’avènement de l’alternance consensuelle en 1998.  Ainsi,  un nouveau plan quinquennal (2000-2004) fut adopté par le parlement. Force est de constater, cependant,  que ce plan est resté sans lendemain et personne n’en parlait depuis  malgré les moyens qui lui sont réservés et les efforts déployés pour son élaboration. Et je me  demande même  si on s’en souvient encore!!

En lieu et place de la planification, le pays a opté, comme chacun le sait,  pour une politique des programmes et stratégies  sectoriels. Ces derniers concernent toute une panoplie d’activités : l’industrie, l’agriculture, les pêches maritimes, le commerce, l’artisanat,  le numérique, le tourisme, l’éducation, la formation personnelle, l’emploi ….Ces programmes et stratégies embrassant différentes périodes et préparés généralement par les départements de tutelle sans  tenir compte des interférences  et interactions entre eux, ont donné des résultats contrastés. Ils souffrent, de l’avis de tous,  d’un manque de convergence et de cohérence. Et c’est justement, là où réside le rôle  de la planification qui aurait «habillé» ces programmes orphelins en leur assurant la convergence et la cohérence qui leur fait défaut, et par conséquent, améliorerait leur efficacité et leur pertinence.

 Ce faisant, on ne fera qu’appliquer les dispositions de la constitution 2011 dont  l’article 75 dispose : «Les dépenses d’investissement nécessaires à la réalisation des plans de développement stratégiques ou des programmes pluriannuels, ne sont votées qu’une seule fois, lors de l’approbation de ces derniers par le Parlement et sont reconduites automatiquement pendant leur durée». Il est donc question de plans de développement stratégique qui portent sur une période plus ou moins longue couvrant au minimum une législature. D’ailleurs, on ne comprend pas pourquoi il est fait obligation aux collectivités territoriales de disposer d’un plan de développement stratégique et ne pas appliquer cette règle à l’administration centrale.

Un «plan stratégique» avec des objectifs cohérents et des priorisés démocratiquement arrêtées, des moyens appropriés pour atteindre ces objectifs avec la mise en place des instances de suivi et des mécanismes d’évaluation aiderait le pays à surmonter les turbulences et à réduire la marge des incertitudes du futur. Car le plan n’est autre que cette «aventure calculée» et ce «réducteur d’incertitude»  pour reprendre les termes d’un  grand spécialiste de la planification (Pierre Massé). Je me souviens bien de  cette remarque de l’un de mes anciens professeurs : «il vaudrait mieux avoir un plan appliqué à 30% que de ne pas en avoir du tout». Quelle sagesse!!

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