Référendum
Les Tunisiens étaient appelés hier lundi à se prononcer lors d’un référendum imposé par le chef de l’Etat, Kais Saied, sur une nouvelle Constitution controversée qui renforce les pouvoirs du président et pourrait faire rebasculer le pays vers un régime dictatorial similaire à l’avant 2011.
Plus de 11.000 bureaux de vote ont commencé à 5H00 GMT à accueillir les électeurs d’après l’Isie, l’autorité électorale, organisatrice de cette consultation censée, selon M. Saied, mettre fin à la crise politique provoquée par son coup de force d’il y a exactement un an. Ils fermeront à 21H00 GMT.
Selon l’Isie, 9.296.064 Tunisiens ont été inscrits volontairement ou automatiquement pour participer à ce référendum, rejeté par la majorité des partis politiques et critiqué par les défenseurs des droits. Les 356.291 Tunisiens de l’étranger ont commencé à voter samedi et ont jusqu’à lundi pour s’exprimer.
La participation est le principal enjeu du référendum pour lequel aucun quorum n’est requis et où le oui est donné favori, l’opposition à M. Saied ayant pour l’essentiel appelé à ne pas se rendre aux urnes.
Le projet de Constitution instaure un régime ultra-présidentiel accordant de vastes pouvoirs au chef de l’Etat, en rupture avec le système plutôt parlementaire en place depuis 2014, auquel M. Saied impute les conflits récurrents entre le Parlement et le gouvernement des 10 dernières années.
Dans le nouveau texte, le président, chef suprême des armées, exerce le pouvoir exécutif avec l’aide d’un chef de gouvernement qu’il désigne et peut révoquer selon son bon vouloir, sans nécessité d’obtenir la confiance du Parlement. Il entérine les lois et peut aussi soumettre au Parlement des textes législatifs qui ont « la priorité ».
Une deuxième chambre devant représenter les régions sera établie pour contrebalancer l’Assemblée des représentants (députés) actuelle.
L’opposition et les ONG ont dénoncé un texte « taillé sur mesure » pour M. Saïed, et une concentration excessive des pouvoirs entre les mains d’un président n’ayant de comptes à rendre à personne.
Sadok Belaïd, le juriste chargé par M. Saied d’élaborer la nouvelle Constitution, a désavoué le texte final, estimant qu’il pourrait « ouvrir la voie à un régime dictatorial ».
Les plus grands partis d’opposition, notamment le mouvement d’inspiration islamiste Ennahdha, bête noire de M. Saied, ont appelé au boycott du scrutin, invoquant un « processus illégal » et sans concertation.
La puissante centrale syndicale UGTT, qui se tient à distance de la vie politique sur laquelle elle avait une forte influence depuis la Révolution de 2011, n’a pas donné de consigne de vote.
Personnage insondable et complexe, le président Saied exerce le pouvoir de manière de plus en plus solitaire depuis un an.
Agé de 64 ans, M. Saied considère sa refonte de la Constitution comme le prolongement de la « correction de cap » engagée le 25 juillet 2021 quand, arguant de blocages politico-économiques, il a limogé son Premier ministre et gelé le Parlement avant de le dissoudre en mars, mettant en péril la seule démocratie issue du Printemps arabe.
Pour le chercheur Youssef Cherif, « le fait que les gens puissent encore s’exprimer librement, qu’ils puissent aller voter non (au référendum) sans aller en prison montre que nous ne sommes pas dans le schéma traditionnel de la dictature ».
Mais la question pourrait se poser, selon lui, dans l’après-Saied, avec une Constitution qui « pourrait construire un régime autoritaire ressemblant aux régimes que la Tunisie a connus avant 2011 », la dictature de Zine el Abidine Ben Ali et le régime autocratique du héros de l’indépendance Habib Bourguiba.
Au lendemain du vote, le principal défi du président restera la grave situation économique avec une croissance poussive (autour de 3%), un chômage élevé (40% chez les jeunes), une inflation galopante, accentuée par la guerre en Ukraine et l’augmentation du nombre de pauvres à 4 millions de personnes.
La Tunisie, en profonde crise financière avec une dette supérieure à 100% du PIB, négocie depuis des mois un nouveau prêt avec le FMI qui a fait état, avant le référendum, de « progrès satisfaisants » en vue d’un accord, mais exigera en retour des sacrifices, susceptibles de provoquer des réactions dans la rue.