Nabil El Bousaadi

Au pays d’Erdogan, les morts se suivent et se ressemblent, malheureusement… En effet, après que Helin Bölek, la chanteuse de la formation musicale «Grup Yorum» et deux autres membres du groupe aient péri, au début de cette année, des suites de grèves de la faim, c’est au tour d’Ebru Timtik, une avocate de 42 ans de rendre l’âme,   jeudi 27 Août 2020, 28 jours après son admission à l’hôpital et au terme d’une grève de la faim qui aura duré 238 jours.

Pour les autorités d’Ankara, le Grup Yorum, un groupe qui mêle musique traditionnelle et chants révolutionnaires, serait très proche de l’organisation marxiste-léniniste radicale DHKP-C. Aussi, après avoir fait l’objet de la même accusation, l’intéressée, officiellement membre de l’Association des «Avocats contemporains», spécialisée dans la défense «de cas politiquement sensibles» avait été condamnée, l’année dernière, à plus de 13 années d’emprisonnement.

Récusant l’accusation d’appartenir à l’organisation précitée considérée par Ankara et ses alliés occidentaux comme étant un «groupe terroriste», l’intéressée s’était donc trouvée contrainte d’entamer une grève de la faim pour réclamer un «procès équitable» car il était clair que le pouvoir d’Ankara lui en voulait pour le simple fait qu’elle s’était toujours rangée du côté des «terroristes kurdes».

Il lui était reproché, également, d’avoir défendu la famille de Berkin Elvan, ce jeune adolescent mort des suites des blessures dont il avait été victime lors des manifestations anti-gouvernementales qui avaient eu lieu à Gezi en 2013. Autant de raisons pour lesquelles, le mois dernier, un tribunal d’Istanbul avait refusé de la libérer alors même que le rapport médical présenté par ses avocats indiquait qu’elle ne pesait plus que 30 kilos et qu’à ce titre son état de santé ne lui permettait plus de rester en prison.

Une demande similaire déposée auprès de la Cour Constitutionnelle était également restée sans suite puisqu’au lieu d’être libérée elle avait tout simplement été transférée à un hôpital, au même titre qu’Aytac Ünsal, un autre détenu, avocat au barreau d’Istanbul, poursuivant toujours sa grève de la faim.  

«Ebru Timtik est tombée en martyre » diront ses confrères. Sezgin Tanrikulu, un député du CHP (social-démocrate) imputera, de son côté et sur son compte «Twitter», la mort de l’avocate,  à «la conscience aveugle de la justice et des politiques (puisque) son seul souhait avait trait à la tenue d’un procès équitable et honnête».

Et s’il y a lieu de reconnaître qu’en Turquie, la mort de l’avocate a ému de nombreux élus et représentants de la société civile, pour Bruxelles, la mort d’Ebru Timtik «met en évidence les graves lacunes du système judiciaire turc». C’est à ce titre, d’ailleurs, que le Conseil des barreaux européens (CCBE) regroupant 45 pays s’est dit «sous le choc» et a transmis au président Recep Tayyib Erdogan, une correspondance dans laquelle il lui demande d’éviter à Aytac Ünsal, toujours en grève de la faim, une fin aussi tragique que celle qu’a connue sa consoeur jeudi dernier.

Dans un communiqué en date de ce vendredi, le barreau d’Istanbul, énumérant les violations du droit à un procès équitable dont ont été victimes Ebru Timtik et d’autres membres de l’Association des Avocats contemporains, a considéré que ce décès est une honte pour l’histoire de la justice turque.

Peter Stano, le porte-parole de la Commission européenne estime, de son côté, que «le sort tragique de l’avocate illustre douloureusement le besoin urgent pour les autorités turques de traiter, de manière crédible, la situation des droits de l’homme dans le pays».

Au vu de tout cela est-il permis d’espérer qu’un jour la situation des droits de l’homme, au pays d’Erdogan, va pouvoir connaître un dénouement heureux? Rien ne l’indique pour l’heure au vu de la politique expansionniste menée par un régime qui rêve de faire retrouver à la Turquie la puissance de l’Empire Ottoman et du massacre dont est victime la minorité kurde mais attendons pour voir…